Aimé Césaire

Aimé Césaire est né le 26 juin 1913 à Basse-Pointe, en Martinique. Il est mort le 17 avril 2008 à Fort-de-France.
Poète, dramaturge et homme politique, il a joué a joué un rôle considérable dans la prise de conscience des intellectuels noirs d’Afrique et des Caraïbes. Il a établi avec Léopold Sédar Senghor, le concept de "négritude".
Sa poésie, saluée notamment par Jean-Paul Sartre et André Breton (un "grand moment lyrique de ce temps…") est aujourd’hui mondialement reconnue.
Dossier complet du journal Monde daté du 17 avril 2008 sur www.lemonde.fr
Extrait d’une rencontre avec Aimé Césaire.
Propos recueillis par Francis Marmande, Article paru dans l’édition du 17.03.06. :
Le mot "nègre" était insultant.
Mais ce n’est pas nous qui l’avions inventé. Un jour, je traverse une rue de Paris, pas loin de la place d’Italie. Un type passe en voiture : "Eh, petit nègre !" C’était un Français. Alors, je lui dis : "Le petit nègre t’emmerde !" Le lendemain, je propose à Senghor de rédiger ensemble avec Damas un journal : L’Etudiant noir. Léopold : "Je supprimerais ça, on devrait l’appeler Les Etudiants nègres. Tu as compris ? Ça nous est lancé comme une insulte. Eh bien, je le ramasse, et je fais face." Voici comment est née la "négritude", en réponse à une provocation.
Dans quelles circonstances avez-vous rédigé votre Cahier d’un retour au pays natal ?
Regardez cette photo. Petar Guberina ! Un soir de 1935, je rentre à la Cité universitaire. Je reviens du théâtre : Giraudoux, joué par Jouvet, je n’allais pas rater ça ! Je traîne, librairies, bouquinistes, je n’ai plus un sou. A la cantine, je prends, je ne sais plus, quelques traces de tomates. Alors la serveuse me dit : "Vous ne mangez jamais de viande ? Vous n’avez pas d’argent ? - Non, mademoiselle, ce n’est pas une question d’argent, c’est une question de philosophie : je suis végétarien." Grand éclat de rire derrière moi ! C’est ce beau type, assez sombre de peau, Petar Gubarina : "Moi aussi, je suis végétarien, pour la même philosophie !"
On devient copains, les meilleurs du monde. Comme à Senghor de l’Afrique, je lui parle du monde slave. Il s’aperçoit à sa grande stupeur que je sais beaucoup de choses sur son pays. J’apprends quelques mots de croate, écoutez… je les sais encore.
A son retour chez lui, il me télégraphie : "Aimé, qu’est-ce que tu fous à Paris ? Tu t’emmerdes, c’est l’été, viens me voir à Zagreb." Je n’ai pas un sou pour retourner en Martinique, et ce fou m’invite en Croatie. Bref, je prends le train. Au bout, sur le quai, sa famille me réserve un accueil extraordinaire. Les paysages, le découpé de la côte, l’exil, la mer, tout me rappelle la Martinique. Et du troisième étage de la maison, devant un paysage de splendeur qui me rappelait le Carbet, j’aperçois une nuée d’îles : "Petar, regarde celle-là : c’est ma préférée, comment s’appelle-t-elle ? - Martiniska ! - Mais alors ! c’est la Martinique, Pierrot !" Autrement dit, faute d’argent, j’arrive dans un pays qui n’est pas le mien, dont on me dit qu’il se nomme Martinique. "Passe-moi une feuille de papier !" : ainsi commencé-je Cahier d’un retour au pays natal.
Vous êtes fier de votre action politique ou de votre oeuvre poétique ?
Elles vont ensemble. Pendant les conseils municipaux, je m’absentais : pas physiquement, bien entendu, mais pour écrire en secret. Un beau jour de vacances, j’extirpais les papiers de ma poche, c’était un poème. Ma poésie est née de mon action. Je n’ai jamais voulu faire une carrière poétique, en demandant aux gens qu’on me foute la paix pour créer. Non : écrire, c’est dans les silences de l’action."
(fin de l’extrait, retrouvez l’intégralité de l’entretien sur www.lemonde.fr)
Extrait
Et voici au bout de ce petit matin ma prière virile
que je n’entende ni les rires ni les cris, les yeux fixés
sur cette ville que je prophétise, belle,
donnez-moi la foi du sauvage du sorcier
donnez à mes mains puissance de modeler
donner à mon âme la trempe de m’épée
je ne me dérobe point. Faites de ma tête une tête de proue
et de moi-même mon coeur, ne faites ni un père, ni un frère,
ni un fils, mais le père, mais le frère, mais le fils,
ni un mari, mais l’amant de cet unique peuple.
Faites-moi rebelle à toute vanité, mais docile à son génie
comme le poing à l’allongée du bras !
Faites-moi commissaire de son ressentiment
faites-moi dépositaire de son sang
faites de moi un homme de terminaison
faites de moi un homme d’initiation
faites de moi un homme de recueillement
mais faites aussi de moi un homme d’ensemencement
faites de moi l’exécuteur de ces oeuvres hautes
voici le temps de se ceindre les reins comme un vaillant homme-
Mais les faisant, mon coeur, préservez-moi de toute haine
ne faites point de moi cet homme de haine pour qui je n’ai que haine
car pour me cantonner en cette unique race vous savez pourtant mon amour tyrannique
vous savez que ce n’est point par haine des autres races
que je m’exige bêcheur de cette unique race
que ce que je veux
c’est pour la faim universelle
pour la soif universelle
la sommer libre enfin
de produire de son intimité close
la succulence des fruits.
Extrait de Cahier d’un retour au pays natal, Éditions Revue Volonté 1939, Bordas 1947, Présence africaine 1956, 1971.
Bibliographie
Poésie
- Cadastre, suivi de Moi, laminaire…, Éditions Points, 2021.
- Ferrements et autres poèmes, Éditions Points, 2021.
- Les armes miraculeuses, commenté par Pierre Laforgue, Éditions Gallimard, 2009.
- Le Grand Camouflage, Éditions Seuil, 2009.
- Cent poèmes d’Aimé Césaire, Éditions Omnibus, 2009.
- Cent poèmes d’Aimé Césaire, établie par Daniel Maximin, Éditions Omnibus, 2009.
- Cadastre suivi de Moi, Laminaire… , Éditions Seuil, 2006.
- Anthologie poétique, Éditions Imprimerie nationale, 1996.
- Tropiques, Éditions Jean-Michel Place, 1994.
- La Poésie, œuvre poétique complète, Éditions Seuil, 1994.
- Œuvres complètes, poésie, théâtre essais, Éditions Desormeaux, 1976.
- Moi, Laminaire Éditions Seuil, 1982 et Éditions Points Seuil, 2006.
- Les Armes miraculeuses, Éditions Gallimard, 1946 et Poésie/Gallimard 1970.
- Cadastre, Éditions Seuil 1961, 1982 et Points Seuil 2006.
- Ferrements, Éditions Seuil, 1960.
- Corps perdu, illustrations de Picasso, Éditions Fragrance, 1949.
- Soleil cou coupé, Éditions K, 1948.
- Cahier d’un retour au pays natal, revue Volonté 1939, Éditions Bordas 1947, Éditions Présence africaine 1956, 1971.
Poèmes lus et chantés
- Cadastre, lu par Jacques Martial Thélème, 2011.
- Cahier d’un retour au pays natal dit et chanté par Bernard Ascal EPM.
Théâtre
- Une saison au Congo, Éditions Seuil 1973, et Points n° P831.
- Une tempête, Éditions Seuil, 1969, et Points n° P344.
- La Tragédie du roi Christophe, Éditions Présence africaine, 1963, 1970.
- Et les chiens se taisaient, Éditions Présence africaine, 1956, 1989, 1997.
Essais
- Premiers Pas pour une politique de la culture, en collaboration avec Jacques Rabemananjar et Léopold Sédar Senghor, Éditions Présence africaine, 1968.
- Toussaint Louverture, la révolution française et le problème social, Éditions Présence africaine, 1962.
- Lettre à Maurice Thorez, Éditions Présence africaine, 1956.
- Discours sur le colonialisme, Éditions présence africaine 1955, 1970.
Hors série Le Point
- La pensée noire, les textes fondamentaux, avril-mai 2009.