Chaka

Léopold Sédar Senghor

Tam-Tam au loin, rythme sans voix qui fait la nuit et tous les villages au loin
Par-delà forêts et collines, par-delà le sommeil des marigots…
Et moi je suis celui-qui-accompagne, je suis le genou au flanc du tam-tam, je suis la baguette sculptée
La pirogue qui fend le fleuve, la main qui sème dans le ciel, le pied dans le ventre de la terre
Le pilon qui épouse la courbe mélodieuse. Je suis la baguette qui bat laboure le tam-tam.
Qui parle de monotonie ? La joie est monotone la beauté monotone
L’éternel un ciel sans nuage, une forêt bleue sans un cri, la voix toute seule mais juste.
Dure ce grand combat sonore, cette lutte harmonieuse, la sueur perles de rosée !
Mais non, je vais mourir d’attente…
Que de cette nuit blonde – ô ma Nuit ô ma Noire ma Nolivé –
Que du tam-tam surgisse le soleil du monde nouveau.

Œuvre poétique, Léopold Sédar Senghor, Seuil.

Poème
de l’instant

Charles Baudelaire

Petits poèmes en prose

Votre œil se fixe sur un arbre harmonieux courbé par le vent ; dans quelques secondes, ce qui ne serait dans le cerveau d’un poëte qu’une comparaison fort naturelle deviendra dans le vôtre une réalité. Vous prêtez d’abord à l’arbre vos passions, votre désir ou votre mélancolie ; ses gémissements et ses oscillations deviennent les vôtres, et bientôt vous êtes l’arbre. De même, l’oiseau qui plane au fond de l’azur représente d’abord l’immortelle envie de planer au-dessus des choses humaines ; mais déjà vous êtes l’oiseau lui-même.

Charles Baudelaire, Petits poèmes en prose, « Le Théâtre de Séraphin », 1868.