Denis Podalydès

"Cause disparue, atoll littéraire dérivant, en marge de tout le marché et du système médiatique, cause forcément désintéressée puisqu’on n’a rien à y gagner, sinon une paix royale, la poésie est pourtant un mot rebattu du langage courant, surtout comme adjectif : est poétique ce qui décolle un peu, s’enveloppe à la fois d’une beauté et d’une douceur, d’un nimbe gracieux et vague, invitant au sourire rêveur, désarmant le cynisme, la vitesse, l’affairisme, capable à tout moment d’offrir de l’innocence originaire l’image la plus rassurante. Ça fait du bien, un petit poème. C’est joli, c’est beau, c’est mystérieux On sort la tête de l’eau. Pas évident quand même, pas clair-clair, mais justement, c’est ça qui est bien. On prononce un léger Oh suspendu. Et on retourne vaquer.
Mais pourtant Rimbaud, Baudelaire, et même Hugo, et même Ronsard, et puis consorts, jusqu’à nos plus récents, lyriques et anti-lyriques, oulipiens et rappeurs, tous, si l’on fait un peu attention, ce n’est pas ça du tout. C’est de l’action pure. Rien de plus matériel, de plus tangible, de plus éprouvant que leurs poèmes. C’est de l’exercice, de la gymnastique pour la bouche, ça fait même un peu mal, à force, quand on les lit et qu’on les dit. Alors ?
La poésie n’est pas un ange qui passe. La poésie n’est pas poétique. La poésie n’est pas dans l’air, ni dans les soleils couchants, ni dans les fleurs, ni dans les cœurs, ni dans les âmes, ni dans la terre. Elle est dans certains livres fabriqués par des poètes (on appelle comme ça ce genre d’écrivain très concret), qu’il convient de lire, de relire et de faire passer, si l’on veut entendre quelque chose à cette question."

Denis Podalydès, comédien
Parrain du 11e Printemps des Poètes