Il attendait que la neige enfin tombe
à Babacar SALL
HAÏTI, en bateau dans la forêt, la nuit…
Il attendait que la neige enfin tombe
sur la pâleur de sa peau
qu’elle recouvre les champs les arbres
les murs le toit
Il attendait debout
qu’elle vienne à lui
et lentement
le fasse disparaître de lui
Il attendait
le cœur à bout de bras
qu’elle renvoie toute blancheur
à sa légèreté
à son insignifiance
à sa vanité
Il lui fallait la neige des montagnes
pour s’y jeter
pour y sauter à pieds joints
les pieds entravés
liés par les fers et les douleurs
les pieds porteurs apocryphes
des chaînes épouvantables de l’Histoire
Mais à qui demandera-t-il le pardon ?
Et qui voudra bien l’entendre ?
A l’ombre si menue de l’enfant de Gorée
sur le mur et sa peau
dans la dernière lumière
au désespoir de la nuit ?
Lui
L’enfant de la nuit de Gorée
l’enfant noir de toutes les nuits des hommes
Lui
avant que ne vienne la dernière neige
Lui
comme un long cri d’âme et d’amour blessé
comme une étoile hurlant soudain
les avatars de sa lumière
Il tient maintenant contre sa peau
cet enfant de l’île aux douleurs noires
venu tout droit dans les larmes de son cœur
boire à jamais son enfance inachevée
Cet enfant naturel
d’une interminable nuit d’amour
sur le fol abîme du temps
il l’aime
Il l’aime
dans la forêt des siècles et des vents
La neige ne tombe toujours pas
sur les marins ivres
cinglant vers l’Afrique
et reniflant déjà les Amériques
à la vitre sale de leurs yeux bleus
Il regarde encore ses mains
Leur blancheur témoigne obstinément
de leur appartenance
à l’histoire des mains noires
Alors que vienne enfin la neige des Hauteurs
pour emporter ce peu de blancheur
au plus lointain
à l’inaccessible limite de toute couleur
Et puis aller nu vers les blancs navires
escorté de vastes mouettes
et de cris taillés à la serpe
du grand Soleil Noir
libre de tenir la main du froid
Et traverser des cimetières d’oiseaux
endormis d’enfants paisibles
parmi les champs bleus d’ignames et de manioc
Poème
de l’instant
Brûler brûler brûler
Approcher le sublime et le laisser se poser sur notre
épaule allait exiger de nous une certaine patience…