Inconnus mais pas étrangers
va à l’étranger comme chez ton ami
et chez ton ami comme à l’étranger
Depuis longtemps nos langues nous séparent
malgré les montagnes
les plaines
les rivières
que nous avons grimpées
traversées
longées
depuis longtemps nos dieux nous séparent
malgré le désert
le ciel
la mer
que nous avons priés
Le pommier est-il l’étranger du pin
l’oranger, celui du chêne
le reflet du peuplier dans la rivière de Castille
est-il plus clair que celui du bouleau
dans un lac de Finlande
la neige qui tombe à Odense
au Danemark
le jour de Noël
est-elle plus blanche
que celle qui tombe des rêves du Touareg
à Bamako
le jour de L’Aïd
la lune que je contemple ce soir
dans l’hémisphère nord
est-elle plus ronde
que celle qu’on ne voit pas ce soir
dans l’hémisphère sud ?
Depuis longtemps nos langues nous attirent
grâce aux pains
aux chants
que nous partageons
autour de la même table
et la main qui m’ouvre le chemin
dans ce pays où je me perds
m’est plus proche
que celle qui menace
dans mon pays où l’on se perd
dès que de l’autre côté de la route
qui relie nos villages
nos quartiers
dans notre ville
de notre pays
ils font de l’inconnu
un étranger.
Yvon Le Men
Poème
de l’instant
Cahier de création
Et s’il ne restait que la force du chant
la puissance impalpable d’un cœur de graminées
le bonheur insondable du chœur rythmé
la sobriété généreuse des souffles mêlés
et s’il ne restait que le giron de la transe
berceau de nos rêves en nos chevelures dénouées
claquement de mains et chairs libérées
bras serpentins et hanches agitées
et s’il ne restait que la solidité de nos rêves