Journal de l’attente

Auteur : Laurine Rousselet

Journal de l'attente

De la passion amoureuse, on pourrait attendre un chant ou un surcroît de lyrisme – un sujet réuni, enfin réalisé, qui clamerait ou déclamerait et qui s’élèverait vers un espoir transcendant. Pas de ça ici : Laurine Rousselet fait parler un corps, non commandé, presque sans subjectivité, quasiment détaché d’une conscience, dans la démesure de l’amour.

Les verbes à l’infinitif, nombreux, marquent son écriture. Sans marque ni de la personne, ni du temps, ni du nombre, ils nous conduisent hors d’une situation énonciative, hors d’une relation à la réalité ; transformés souvent en substantifs, ils expriment le vif d’un tourbillon émotionnel sans sentimentalisme. Finalement ces verbes donnent l’idée d’une déréliction où l’abandon des résistances s’affronte à la solitude des « dépassements » – l’insupportable propension à faire ou à penser les choses « jusqu’au bout » : « l’immersion suppose la nécessité de l’irréversible / le saut du septième étage pour voir ».

Un « corps de savoir », un « corps d’intuition », nous dit Laurine Rousselet, un corps qui « enfièvre l’écriture », où presque rien de l’être aimé n’est dit, si ce n’est les morsures qu’il laisse comme une « absence incalculable autour des reins ». Restent les humeurs corporelles pour entendre – comme seul visible de ce qui serait habituellement ignoré – l’effervescence de cette « guerre du dedans ». Ces humeurs qui viennent soulager « l’hallucination d’être / une source forcenée du cœur ».

« je se donne au besoin de dégagement » ou « je marche en perte » : deux vers parmi d’autres – peu nombreux – où on devine que ce sujet qui pourrait re-penser ou re-exister n’est plus que « la menace ». Contre celle-ci, il faut « tenir à la guerre / tenir à la langue / à tes mains sur moi toujours vivante » ; il faut batailler, pour gagner « l’amour au sommet du bassin », « l’infini par le sexe et l’amour ». Et le corps pourrait enfin régner, même souffrant et morcelé. Bien que « le sexe s’adapte à tout », le corps est « brûlant » et « enfiévré », aussi fait « de trous déchirants », « inondé d’abîme », « morceaux de ruines », car il n’est pas si facile d’avoir pour projet de « résister pour offrir au sexe son rouge »…

Paru le 1er mars 2013

Éditeur : Editions isabelle sauvage

Genre de la parution : Recueil

Support : Livre papier

Poème
de l’instant

Léopold Sédar Senghor

Femme noire

Femme nue, femme noire
Vêtue de ta couleur qui est vie,
de ta forme qui est beauté !
J’ai grandi à ton ombre ;
la douceur de tes mains bandait mes yeux.
Et voilà qu’au cœur de l’Été et de Midi,
je te découvre, Terre promise,
du haut d’un haut col calciné
Et ta beauté me foudroie en plein cœur,
comme l’éclair d’un aigle.

Léopold Sédar Senghor, 1906-2001, « Femme noire », Chants d’ombre, Éditions Points, 2021.