Juliette Binoche

"Je ne porte la poésie que lorsqu’elle branche les antennes des profondeurs, c’est à dire qu’elle ose une sincérité déconcertante.
La poésie est un langage de l’invisible, un ressenti qui s’exprime avec le concentré, le peu, le dense. Le moins pour le plus, elle se retire pour attirer. C’est une opération à coeur ouvert où le verbe prend corps.

La poésie peut me transporter, me transformer mais je dirais même plus, elle me fait me reconnaître et là c’est le bonheur. J’ai ce sentiment de proximité avec Antjie Krog, Rumi, Tchouang Tseu, Hafez, Michaux, Char…

J’ai découvert la poésie tard, j’ai mis du temps à me défaire des notes de récitations, des poésies choisies pour la langue française, l’obligatoire. Je voyais la beauté, mais je n’arrivais pas à rentrer dedans. La poésie cache bien son jeu ! La quintessence des mots a un pouvoir vibratoire. Sans manipulation, elle est un appel sans merci, comme une sortie de soi. C’est pas joli, c’est pas parfait, mais c’est vrai.

C’est en rencontrant Antjie Krog, sur les routes d’Afrique du Sud, que tout à coup, mes yeux se sont ouverts. Je suis entrée dans ses mots, dans sa vie, dans un autre espace-temps, ses visions sont devenues miennes. Comme lorsque je ne comprenais pas ce qu’il y avait dans l’art abstrait avant de lire le livre de Charles Juliet « Rencontres avec Bram van Velde », le passage dans une autre sphère demande parfois un guide, un maître.

La poésie reste pour moi l’art le plus sacré, comme une incantation à l’homme, à sa nature, une musique intérieure libre de toute religion, où on ose sa nullité, où le mot est dans sa verticale. Il y a des poésies qui déchirent, qui crient, il y a celles qui réconcilient, celles qui nous touchent, qui nous enchantent, qui nous provoquent, qui nous font sourire. Le fil intérieur des mots nous appartient, comme une goutte d’eau qui nous fait survivre."

Juliette Binoche, marraine de la 13e édition du Printemps des Poètes.


Juliette Binoche, invitée des « 5 dernières minutes » du 13h de France 2, le 9 mars 2011.