« L’Ardeur » - Carte blanche à Xavier Darcos



« Ce qui est intéressant avec cette thématique de l’Ardeur est qu’elle renvoie, à la fois à quelque chose de jeune, de moderne mais aussi à une notion très ancienne, voire initiatrice pour la poésie. Les anciens, en particulier les grecs essayaient de réfléchir à ce qui pouvait être de l’ordre du poétique et de l’opposer à l’ordre du rhétorique précisément en utilisant les termes euphoria, eutrapelia qui peuvent être parfaitement traduits par «  ardeur  ».

Dans L’apologie de Socrate, Socrate ironise sur les poètes  :

Quand j’allais voir des poètes, quand je prenais leurs ouvrages, je m’intéressais à ceux qui paraissaient les plus travaillés mais je leur demandais ce qu’ils voulaient dire, quels étaient leurs dessins et bien j’ai honte athéniens de vous dire la vérité, mais il faut pourtant que je vous la dise  : il n’y avait pas un seul des hommes qui étaient là, présents, qui fut capable de parler, de rendre raison de ses propres poèmes. J’ai connu tout de suite que les poètes ne sont pas guidés par la raison, peut-être même pas par la sagesse mais par une ardeur semblable à celle des prophètes et des devins. Ils disent de fort belles choses sans même comprendre ce qu’ils disent .

Evidemment, Socrate est un peu sévère mais le mot clé, le mot «  ardeur  » qui est au centre de sa réflexion est complétement marqué par la tradition platonicienne. La poésie est une ardeur, c’est-à-dire une pulsion que Platon compare à celle des amoureux ou à celle des prophètes ou des devins. Il s’agit d’une euphoria, c’est-à-dire, d’être porté vers le bien hors de soi-même, d’être tiré entièrement hors de soi, une notion que l’on pourrait presque traduire par «  extase  ».

Cette idée n’a, au fond, pas tellement quitté l’histoire de la poésie française. On a souvent parlé du furor poeticus, de la fureur poétique, on a parlé d’un enthousiasme. Platon, dans Ion, exprime avec beaucoup de précision cette idée, cette folie qui tire hors de soi le poète et qui devient, au fond, porte-parole de quelque chose qui le dépasse.

Les poètes français s’en sont beaucoup servi. Ils ont appelé ça autrement, ils ont appelé ça l’ivresse par exemple, avec le fameux précepte baudelairien «  il faut toujours être ivre  ». Au fond, ils ont été marqués par cette idée qu’être poète c’est avoir conscience que quelque chose nous appelle au-delà de nous-même. »

Xavier Darcos


Lundi 12 mars / 18h à 19h
Bibliothèque de l’Arsenal
1 rue de Sully - Paris 4e

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Poème
de l’instant

Une odeur d’oiseaux chantants

Je marche la tête haute et le cœur en vrille. Ma langue est pliée bien serrée comme un vieux manteau de bure coincé dans un placard. C’est ainsi que je suis.

Pascale Thomas, Une odeur d’oiseaux chantants, Cheyne éditeur, 2022