Rhubarbe
30 novembre 2022
Les mains bleues
« Tant de chemins que je ne connaissais plus. Un jour j’en ai pris un, et mon pays a disparu." Depuis un pont, une jeune fille, presque une enfant encore, regarde l’eau qui charrie tant de morts, incertaine passerelle entre un pays ravagé par la guerre et une ville qu’elle ne comprend pas et où on ne comprend pas les mots de ses terreurs. Elle parle pourtant, raconte sa mère, son enfance, les hommes qui sont venus, la longue errance sur les routes et les mers, sa volonté d’oser être elle-même. Il (…)
5 octobre 2022
Construire
’tu construis
la vie de l’autre
fragile’
Et, un peu plus loin, cette question
’qui est ton père’
Dès les premiers vers de ce poème, unique mais composé en patchwork de mémoire, l’enjeu est posé, son titre explicité, semble-t-il. Mais le jeu des pronoms (je, tu, il), le passage des caractères droits aux italiques, laissent supposer d’autres silhouettes à identifier. Qu’y a-t-il donc à construire ? Un sens ? Un lien ? Une tonalité plutôt :
’aujourd’hui le temps est tendre
triste
dirais-tu
mais toi
tu (…)
18 août 2021
Le soleil vient d’en face
Dans ce qui m’est apparu comme un long poème élégiaque qu’Emmanuelle Favier aurait pu écrire d’une seule traite, mais résulte d’un assemblage de textes publiés en revues entre les années 2013 et 2020, sa maîtrise de la langue fascine. La manière dont elle en joue, les registres qu’elle utilise pour traiter du plus intime, passant d’une apparente simplicité formelle aux sophistications du style, rappellent qu’elle est aussi une romancière d’exception : sa prose exalte sa poésie, comme sa « condition de (…)
15 février 2021
Mon tour du monde
Un jour le père dit à la mère :
– Il faut vendre les enfants
Ils coûtent beaucoup d’argent
et apportent bien peu de satisfaction
C’est un mauvais placement
– Ça ne se fait pas, dit la mère, et que diront les gens ?
– Ce que pensent les gens m’indiffère, dit le père, mais je n’aime pas qu’on se mêle de mes affaires, nous dirons que les enfants sont morts.
– Morts ? dit la mère, tous les trois ? Mais ce n’est pas crédible !
Avec la cruelle naïveté des comptines, Isabelle Minière dit les tempêtes intimes (…)
14 octobre 2020
Les convoyeurs attendent - Journal sauvage
Ce mur
je le côtoie chaque jour
on se connait
comme la mer la falaise
je ne sais ce qu’il défend
et empêche de voir
je sais
qu’il empêche de passer
J’écris dessus
c’est à cela qu’il me sert
15 mai 2020
L’amateur de billes
Nous ne sommes pas ici. Nous ne sommes pas maintenant, mais déjà dans le prolongement des temps qui courent et dans l’amorce d’une société nouvelle et d’une nouvelle moralité. C’est sur cette limite d’anticipation, ce loin-près que Bernard Ascal assoit toute l’étrangeté des nouvelles qu’il nous donne à lire. L’ordinaire de la vie est soudain affublé d’un coefficient d’âpreté, de brutalité, d’incongruité, de discordance, comme si l’Ange de la perversité, cher à Edgar Poe, était venu troubler l’équilibre (…)
1er septembre 2017
13 poèmes composés le matin (pour traverser l’hiver)
Il y a des hivers de l’âme et des brumes sans répit, des ombres qui passent entre le temps qui nous reste et la joie qui nous échappe.
Il y a des hivers de l’âme où tout croule dans le grand froid qui s’empare de nos rêves.
Il y a des hivers de l’âme et des petits matins sans fond qu’on traverse à coups de rames et les mots se muent en avirons de fortune, en barcasses pour Prométhée – le feu qu’on vole, le foie qu’on nous dévore, les grands vautours noirs qui tournent et puis nous qui construisons des (…)
1er septembre 2015
33 poèmes composés dans le noir
« Trente-trois, j’en ai voulu trente-trois, sans doute pour l’âge de mourir bien ou de vivre encore mieux » nous dit l’auteure à la fin de son recueil. 33, donc, comme l’heure de faire un point, presque photographique, sur une mythologie du corps et de l’âme qui tente sans cesse d’explorer les « mécaniques du désir / à recommencer le monde ».
Cheminant à tâtons dans le noir, comme on traverse la nuit pour atteindre l’aube, Adeline Baldacchino nous emmène dans un étrange périple entre Samarcande et Pégase, (…)
1er mars 2015
Le corps noir du soleil
Dans ce troisième volet, après Tombeau pour sept frères et Les Saisons d’Aden, l’auteure de graphie française née à Tunis nous conte la geste d’Iskander, c’est-à-dire Alexandre le Grand qui, ayant atteint les limites du monde et vu le soleil se lever à l’Orient et à l’Occident, a rendez-vous avec sa mort dans la cité de Babylone. Il revoit et revit des moments du voyage initiatique que fut sa vie.
Avec des calligraphies d’Hassan (…)
1er février 2015
La femme de craie d’Erik Poulet-Reney
célébration du corps, du mouvement, de la grâce, et de l’esprit de la danse.
Arrivée en France en 1971, danseuse et chorégraphe américaine, Carolyn Carlson est l’héritière des conceptions du mouvement et de la pédagogie d’Alwin Nikolais. Elle joue un rôle essentiel dans l’effervescence de la danse contemporaine en France et en Italie. Son travail qu’elle nomme poésie visuelle approche la philo-sophie et la spiritualité. Elle a créé plus d’une centaine de pièces qui ont contribué à enrichir singulièrement (…)
Poème
de l’instant
Lettre à Lou Andréas-Salomé
9 juin 1897,
Je veux emporter dans ma nuit la bénédiction de tes mains sur mes mains et mes cheveux. Je ne veux parler à personne, pour ne pas gaspiller l’écho de tes paroles qui tremble tel un émail sur les miennes et les fait sonner plus tendres ; et, le soleil couché, je ne veux voir aucune lampe pour allumer au feu de tes yeux mille bûchers secrets…