Souvenir de la maison des fous
Auteur : Paul Éluard

Dessins de Gérard Vulliamy.
Novembre 1943. Menacé par ses activités clandestines, Paul Éluard doit quitter Paris et disparaître. Il trouve refuge chez Lucien Bonnafé, psychiatre résistant et visionnaire, directeur de l’asile des fous de Saint-Alban, et passera des mois caché parmi les aliénés…
Dans L’Immaculée Conception, en 1930, Paul Éluard et André Breton offraient cinq variations autour des délires recensés par la psychiatrie pour démontrer qu’il n’y avait pas de frontière entre le langage des prétendus fous et celui des poètes, sauf aux yeux de la société. En novembre 1943, lorsque Éluard est accueilli à Saint-Alban par Lucien Bonnafé, épisode auquel fait allusion Xavier Donzelli dans Les Messagers également publié en janvier 2023 chez Seghers, les temps ont changé : l’euphorie et les provocations du surréalisme sont loin, la France est occupée, la poésie doit s’engager. Face aux fous de l’asile public départemental de Lozère, aux aliénés atteints cette fois réellement de débilité mentale, de manie aiguë, de paralysie générale, de délire d’interprétation ou de démence précoce, Éluard se fait confident, interlocuteur. Rappelons-nous que le poète du lyrisme amoureux est aussi le poète de l’indignation face aux injustices et de la compassion envers les malades des sanatoriums, les soldats du front, les femmes tondues de l’après-guerre et de toutes les misères du monde.
Dans ce long poème composé de sept parties et d’un épilogue, « Le Cimetière des fou », il dresse sept portraits de malades servis par les dessins poignants de Gérard Vulliamy, artiste peintre graveur proche du surréalisme et futur gendre du poète. Empreints d’une profonde empathie, ces textes font résonner des voix : celle du poète confronté au mystère impénétrable de l’esprit perdu, « chantant la mort sur les airs de la vie », ou celle des fous en proie aux hallucinations, à des absences ou à de rares éclairs de lucidité. « Le mannequin en croix est-il un homme ou moi ? » s’interroge une jeune femme triste ; « Peut-être aurais-je pu cacher cette innocence qui fait peur aux enfants ? » laisse entendre une vieille dame dont « un mur de regret cerne l’existence ».
Saint-Alban, berceau de la psychiatrie institutionnelle, fut le premier lieu en France à offrir une prise en charge thérapeutique aux fous devenus des patients – à une époque de restrictions qui allait voir mourir de faim la moitié de la population des asiles, soit quarante mille personnes. De la même façon, à travers ce texte, Éluard arrache ces individus à une solitude carcérale et les rend à leur humanité.
Paru le 26 janvier 2023
Éditeur : Seghers
Poème
de l’instant
Taille-vent
En fait
toujours pas d’où aller – Sauf ma tête
et cette fixité élastique m’exaspère
L’infini dans un crâne